I Quand le vieux Nicolas St. Jean entra dans ta chapelle de la mission du Saint-Esprit, ses souliers-de-boeuf tout trempés d'un travers à l'autre imprimaient leurs traces sombres sur le plancher de pin blanc. Il se signa gravement avec l'eau glacée du bénitier, s'accroupit péniblement sur un genou demi-ployé en un geste respectueux, et se laissa tomber sur le dernier banc. A part quelques Sauvagesses, trois vieux Indiens et quelques enfants hâlés, il était seul dans l'église... dans le silence, dans le froid. Le Père Hébert n'avait pas allumé la "truie" malgré le grésil et le vent froid qui soufflait en bourrasques du lac Nîpîssingue. Novembre, sombre et froid, poussait ses soupirs de mort. Nicolas se sentit secoué d'un frisson de la tête aux pieds; ses cheveux grisonnants se hérissèrent sur sa nuque. Il essaya de réciter quelques prières, machinalement, mais il souffrait trop pour prier. Vaguement, comme en rêve, il perçut un mouvement à l'avant: on se levait pour l'accueil du missionnaire. S'agrippant de ses grosses mains au dossier devant lui, le bonhomme St. Jean se tira sur ses pieds. De son oeil vide et fixe, une grosse larme se mit à rouler sur la barbe hirsute, en suivant la ride du rictus et la mâchoire jusqu'au menton. "Elle n'aurait jamais dû venir me trouver, pauv' p'tite - j'aurais dû lui dire non... et p'is y tenir... avant... quand 'y était pas encore trop tard . . ." II Mais comment aurait-il pu savoir au mois de mai? Ça sentait le printemps à pleins poumons, le soleil vous chauffait entre les épaules, tout palpitait de vie. Sa pelleterie avait bien rendu: grosse prise, belle qualité, bon prix. Après la vente, chez Mackenaugh à Québec, il était allé faire son tour chez la petite Létourneau dans la basse-ville, et boire un "p'tit blanc" chez le père Eusèbe. Ça l'aidait à effacer le froid et "l'enimyanterie" du long hiver, le mal, le travail, l'interminable voyagea partir du lac Nipissingue jusqu'en bas de Québec.