CE SIECLE MATERIALISTE ET LES FRUITS QU'IL PRODUIT
Sommes-nous en train de perdre cette qualité bien française de l'amour du travail et de l'ouvrage bien fait? D'après une enquête menée par la Jeunesse ouvrière catholique, les jeunes d'aujourd'hui seraient bien loin de considérer le travail comme une noble occupation des facultés physiques ou intellectuelles de l'homme, d'envisager le produit sorti des mains du travailleur avec le respect et l'amour que Péguy exprimait en des stances si belles, alors qu'il décrivait l'idée toute religieuse que se faisait l'artisan français du travail et de l'oeuvre qui en résulte.
La mécanisation (et bientôt ce sera l'automatisation) tend de plus en plus à faire disparaître l'élément humain de la production qui est devenue massive et a perdu tout caractère personnel. L'industrie classe les ouvriers par numéros, comme s'il s'agissait tout simplement de machines. Les rapports humains se trouvent ainsi réduits à leur plus simple expression et l'ouvrier ne sent plus comme autrefois cette union entre lui et le produit de ses mains auquel il livrait une partie de son esprit et de son coeur.
L'enquête faite par la J.O.C. auprès de quelque huit cents jeunes révèle que presque toute la jeunesse considère aujourd'hui le travail uniquement comme un moyen de gagner de l'argent. On sait que le matérialisme de notre siècle a une influence néfaste sur toutes les classes de la société. Dans les pays industrialisés surtout, on a complètement perdu le sens du service. N'est-il pas vrai (et cela s'observe surtout dans les villes) qu'on voit rarement poser des actes de pur désintéressement et que demander un menu service à quelqu'un (en particulier aux enfants) sans lui offrir du paiement en retour est une chose qui n'a plus sa place dans notre société? N'est-il pas vrai aussi qu'on se moque de celui qui est assez naïf (c'est ce qu'on pense!) pour donner quelque chose pour rien? Exploiter tout le monde tant qu'on peut, cela va pour soi; mais se faire exploiter : bien fin est celui qui y réussira. Ne voilà-t-il pas a nombre, de nos jours, surtout dans les villes?
En partant d'un tel état d'esprit, qui est tout à l'opposé de la charité chrétienne et est le fruit d'un matérialisme centré sur les doctrines des sectes protestantes, on n'a pas à s'étonner des résultats décevants de l'enquête menée par la J.0.C.
Ce qui est plus grave que le manque d'intérêt à son travail, c'est l'absence de probité professionnelle. On travaille pour gagner de l'argent qu'on dépensera et souvent gaspillera en divertissements bien des fois peu dignes d'humains; mais combien peuvent se rendre le témoignage sincère de ne pas voler leur employeur de quelque façon?
Il est possible de voler son employeur de bien des manières. Il y en a qui ne sont jamais a l'heure au travail, peu importe l'heure d'arrivée. D'autres perdent du temps au travail, ils flânent et ne donnent pas tout le rendement dont ils seraient capables sans inconvénients. Il y en a qui volent le bien de ceux qui les emploient; qui apportent chez eux et s'approprient certains objets, du matériel, des outils ou instruments. Nous pouvons aussi voler notre employeur en manquant de soins pour son bien, en ne portant aucune attention aux marchandises et à l'outillage qu'il met à notre disposition ou dont nous nous servons. Ceux qui volent ainsi ou d'autre façon engagent leur conscience, peut-être gravement, selon l'importance de la matière. Il appartient au confesseur de juger ces cas-là.
L'enquête de la J.O.C. révèle un état de choses déplorable, qui appelle un redressement immédiat. Il est évident que la famille demeure le creuset où se forme le futur citoyen, où il acquiert des façons de penser et des habitudes de vie dont il se sentira toujours. Il semble donc que les Associations de parents seraient toutes désignées pour entreprendre un mouvement d'éducation populaire en vue de rehausser la dignité du travail, d'inculquer chez les parents et, par eux, chez les enfants, le sens de la probité professionnelle, en un mot, de faire com-
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