Eugénie était institutrice à la Baie Saint-Paul depuis deux ans... depuis son diplôme au couvent. Il connaissait sa compétence dans la salle de classe et il savait que "ses petits" l'adoraient; mais il éprouvait encore un grand plaisir à entendre la tante Alida vanter les mérites de sa nièce - "Si tu savais, Nicolas, leur fait faire ce qu'elle veut! Les parents aussi la portent sur la main. Partout dans le village c'est Mademoiselle St. Jean ici - Mademoiselle St. Jean là ... C'est pas mêlant, tout le monde l'aime. Les gars courent après elle; elle a tellement de choix qu'elle ne peut pas se décider... Aussi, si ça continue, elle va rester vieille fille; à vingt ans, c'est grand temps de se marier "tant qu'à moi". Eugénie sourit doucement, embarrassée: "Voyons, ma tante! Vous me faites rougir!"... La fête, la folle fête de la retrouvaille dura une semaine. Les veillées se succédèrent; les repas trop copieux se répétèrent... Nicolas St. Jean parlait aux siens de sa vie là-bas dans la forêt du Nord de l'Ontario - et on dégustait chacune de ses paroles; les hommes, domestiqués, lui enviaient sa liberté; les femmes elles, le craignaient un peu . . . C'était au retour d'une de ces veillées où il avait vanté avec encore plus d'enthousiasme les beautés du lac Nipissingue, que la petite Eugénie s'était faufilé la main dans celle du père. Belle, fière, forte, elle déclara: "Papa, je pars avec vous, cette fois." Il avait cru à une farce, d'abord, et d'un ton moqueur il répliqua: "C'est ça! Viens faire la classe à la mission du Saint-Esprit. On a besoin, là-bas d'une belle petite maîtresse comme toi.